Aux origines de l’influence

Les explorations scientifiques réalisées en sciences sociales permettent de mieux comprendre les ressorts utilisés dans le domaine du marketing et plus particulièrement dans les campagnes de marketing d’influence. Mais intéressons-nous d’abord aux origines de ce phénomène, à commencer par l’étymologie même de ce mot. “Du latin [influere] qui signifie pénétrer, se glisser, s’insinuer, se répandre, l’influence est l’action, généralement lente et continue, d’une personne, d’une circonstance ou d’une chose qui agit sur une autre. C’est aussi l’autorité, l’ascendant reconnu d’une personne ou d’un groupe sur quelqu’un ou sur quelque chose.” Par extension, elle désigne un pouvoir mystérieux presque occulte, proche du magnétisme permettant d’obtenir ce que l’on veut de quelqu’un.

L’influence en psychologie

La psychologie la définit comme un « processus par lequel une personne fait adopter un point de vue à une autre. L’influence opère une inflexion : celui qui aurait pensé ou agi autrement s’il n’était pas influencé se dirige dans le sens que souhaite l’influent de façon apparemment spontanée ». C’est un concept complexe qui revêt différentes formes, allant de la persuasion, lorsqu’une personne en convainc une autre d’adopter un comportement X, à l’imitation pour une personne qui agit par mimétisme ou sous le coup de l’admiration.

La mode et le conformisme en sont des expressions qui s’exercent souvent sur un groupe « L’influence de la mode est si puissante qu’elle nous oblige parfois à admirerdes choses sans intérêt et qui sembleront même quelques années plus tard d’une extrême laideur. » écrivait Gustave LE BON  dans  » Les Opinions et les Croyances « . Le réseau, en tant qu’ensemble de personnes qui interagissent et échangent, relève lui aussi de l’influence. On l’observe également comme fondement du leadership, cette compétence personnelle qui permet d’être écouté et suivi par d’autres personnes et de faire qu’ils coopèrent ou adhèrent à des idées sans chantage ni pression.

Influence et manipulation

Dans son ouvrage de 1984, « Influence et manipulation » , Robert Cialdini professeur de psychologie sociale américain établit les 6 principes qui constituent selon lui l’influence. Tout d’abord, le principe de réciprocité qui, toutes cultures confondues, laisse entendre qu’il convient de rendre ce qui nous a été donné. La rareté ensuite, qui de par son caractère exceptionnel et limité fait croître le besoin et donc la demande. Cialdini observe également que l’autorité conférée aux personnes que l’on considère supérieures en raison de leur statut (académique, professionnel…) donne du poids et une légitimité au discours qu’elles portent. L’auteur évoque ensuite la cohérence, principe selon lequel nous éprouvons le besoin de faire correspondre nos actions et nos choix à nos valeurs et croyance. La sympathie, quant à elle, part du principe que l’intérêt ou l’affection que l’on porte à autrui déclenche un retour de cette même personne. Dernier pilier de l’influence, le consensus s’appuie sur notre besoin de copier les autres en cas de doute car le choix adopté par le plus grand nombre semble toujours plus crédible et rassurant que l’avis isolé.

Les 6 principes de persuasion de Cialdini (Cialdini - 1984)
Les 6 principes de persuasion de Cialdini (Cialdini – 1984)

Les leaders d’opinion

Dans « The People’s choice », Lazarsfeld et Katz, deux théoriciens de la communication et de l’influence avancent une théorie selon laquelle le public fonderait son jugement sur celui des leaders d’opinion. Cette analyse croisée des médias de masse et de la communication interpersonnelle avait, en son temps, choqué car elle remettait en question l’influence des médias dans la vie quotidienne des gens. En effet, les résultats obtenus lors de ces études mettent à mal la toute-puissance présumée des médias, en démontrant l’importance du groupe et des relations interpersonnelles dans la construction de l’opinion.

Dans son livre « The Effects of Mass Communication » , le sociologue américain, Joseph T. Klapper reprend cette théorie et confirme que les communications de masse n’ont qu’un effet indirect sur l’opinion. Le message atteint d’abord les leaders des groupes qui le retransmettent ensuite aux autres membres. Entre les deux guerres mondiales, l’étude de la propagande donne lieu à de nombreuses recherches dans ce domaine. Laswell , le pionnier de l’étude de la communication de masse et de la science politique défend la théorie selon laquelle, une « gestion gouvernementale des opinions » (propagande) est nécessaire pour obtenir des citoyens une décision jugée bonne car préalablement approuvée par des spécialistes de la pensée. Il souligne ainsi le rôle joué par les communications de masse dans la manipulation des individus et de leurs attitudes.

La théorie du Nudge

Plus récemment la théorie du Nudge élaborée par Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur ouvrage « Nudge : Améliorer les décisions concernant la santé, la richesse et le bonheur »a démontré que des suggestions indirectes peuvent influencer la prise de décision des individus et ce de manière aussi efficace voire plus que par un ordre direct, ou une loi.

Le principe du Nudge : intervenir dans notre environnement afin de modifier nos mécanismes de choix et nos comportements, dans notre propre intérêt ou celui de l’intérêt général. Dans l’exemple ci-contre, la ville de Paris pousse les fumeurs à jeter leurs mégots dans une poubelle compartimentée leur proposant ainsi de choisir entre les Beatles et les Rolling Stones.

Campagne « Des rues sans mégots » (Mairie de Paris - 2019)
Campagne « Des rues sans mégots » (Mairie de Paris – 2019)

Le Nudge est une manière douce et ludique d’influencer les comportements de la population. Ce n’est pas pour rien que cette méthode de persuasion, basée sur un choix que l’on pourrait qualifier d’incitatif, est déjà largement répandue dans des domaines tels que la santé, l’environnement, l’écologie et les transports. Nous l’avons vu, la question de l’influence fait l’objet de nombreuses études au sein des sciences humaines et sociales et elle suscite encore aujourd’hui l’intérêt des communicants et marketeurs désireux d’améliorer leurs techniques de persuasion.